Consultation relative à la loi Covid-19 sur les loyers commerciaux : un projet inique, bâclé, générateur d’incertitudes
Pendant la session du mois de juin dernier, le Parlement fédéral a accepté deux motions chargeant le Conseil fédéral de prendre des mesures pour que les locataires commerciaux ne doivent payer que 40% de leur loyer pendant la période de fermeture ordonnée dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Ces motions demandent par ailleurs que la réglementation s’applique aussi, pendant une durée maximale de deux mois, aux établissements de santé contraints de restreindre considérablement leurs activités. Enfin, si les parties ont déjà conclu des accords, ceux-ci doivent rester valables et ne pas être annulés par la réglementation demandée.
Une ingérence fédérale arbitraire
En vue de donner suite aux injonctions parlementaires, le Conseil fédéral a mis en consultation au mois de juillet la «loi Covid-19 sur les loyers commerciaux». Celle-ci devrait s’appliquer de façon indifférenciée à tous les locataires commerciaux du pays ayant dû temporairement cesser ou, s’agissant des établissements de santé, restreindre leurs activités. Une telle réglementation produira immanquablement de nombreux effets inéquitables. En effet, les situations individuelles varient sensiblement. Parmi les bailleurs, on retrouve aussi bien des sociétés d’investissement immobilier que des propriétaires privés à la retraite ayant placé leurs avoirs dans un immeuble de rendement. Parmi les locataires, il y a aussi bien des restaurateurs locaux qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans revenus que des grands groupes internationaux disposant de fonds propres importants. Il n’est pas possible de tenir compte de cette diversité dans le cadre d’une réglementation fédérale uniforme. Les solutions doivent être négociées au cas par cas par les locataires et les bailleurs concernés, dans le respect des principes d’équité et de réalité et en tenant compte des circonstances concrètes de chaque situation ainsi que des aides cantonales disponibles, comme le préconise la CVI depuis l’éclatement de la crise au mois de mars.
Un bricolage institutionnel
La loi telle qu’envisagée soulève par ailleurs de sérieux problèmes institutionnels. Elle est destinée à être mise en vigueur immédiatement après son adoption, empêchant la procédure référendaire de se dérouler selon les règles ordinaires, tout en déployant des effets rétroactifs. Elle n’est guère conforme au principe de l’égalité de traitement dès lors qu’elle offre un avantage (sous la forme d’un allègement des charges) aux artisans et entrepreneurs qui sont locataires de leurs locaux commerciaux alors qu’elle ne prévoit aucune mesure en faveur de ceux qui en sont propriétaires. Dans la pratique, elle instaurera une insécurité juridique préjudiciable tant aux locataires qu’aux bailleurs, ouvrant la voie à une multiplication de procédures judiciaires. Extrême, elle s’ingère directement dans les relations contractuelles privées. Aucun pays voisin de la Suisse n’est allé aussi loin dans le cadre des mesures prises en faveur des locataires commerciaux frappés par la crise. Cerise sur le gâteau, la loi ne repose sur aucun fondement constitutionnel solide habilitant la Confédération à légiférer.
Cette loi devrait être traitée au Parlement fédéral pendant le quatrième trimestre 2020 déjà. Les organisations de défense des propriétaires la combattront fermement.
Olivier Feller
Directeur de la CVI
Edito paru dans la Lettre d’information de la CVI no 4-septembre 2020